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Chaque année, le système français produit quelque 100.000 décrocheurs scolaires. Un chiffre à la baisse depuis 2010 selon le ministère de l'Education nationale mais à la hausse d'après le ministère de l'Emploi. Un plan gouvernemental a été lancé en 2014 et de nombreux dispositifs s'additionnent mais d'après les experts le problème est structurel et les solutions doivent intervenir très tôt durant la scolarité.

Le nombre de décrocheurs scolaires est-il en baisse ou en hausse ? Pour le ministère de l'Education nationale, il est en baisse depuis plusieurs années : 98.000 à fin novembre 2016, contre 107.000 en 2015, 110.000 en 2014 et 140.000 en 2010… Le ministère du Travail, dans une étude "Emploi et chômage des 15-29 ans en 2015", publiée par la Dares en mars 2017, estime quant à lui que le nombre de décrocheurs est en augmentation (0,5 point) de début 2013 à fin 2015. Certes la hausse est moins forte que celle mesurée entre mi 2008 et fin 2009 (+2,7 points) mais elle est bien là.
"Ces données sont aléatoires car difficiles à quantifier et en période électorale, on a tendance à dire que leur nombre diminue, explique à Localtis Maryse Esterle, enseignante-chercheure honoraire de l'université d'Artois et membre du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip)*, mais dans tous les cas, il y a bien plusieurs dizaines de milliers de jeunes sortant tous les ans sans diplôme et sans formation." Les fameux "Neet" (Not in Education, Employment, or Training, c'est-à-dire non scolarisé, pas en emploi ni en formation), selon la nomenclature européenne, représentent 14,7% de l'ensemble des 15-29 ans en 2015, soit 1,66 million de jeunes au total ! La proportion est plus importante encore pour les 20-24 ans (18%) et les 25-29 ans (20%).
Les conséquences sont importantes, d'abord en termes d'insertion professionnelle et sociale pour ces jeunes, mais aussi sur le plan financier. D'après le ministère de l'Education nationale, les coûts cumulés tout au long de la vie d'un "décrocheur" s'élèvent à 230.000 euros, soit près de 30 milliards d'euros pour l'Etat chaque année.

De nombreux dispositifs en place

De nombreux dispositifs sont pourtant en place pour faire baisser le décrochage scolaire. Le gouvernement a ainsi lancé un plan d'action "Tous mobilisés pour vaincre le décrochage scolaire" en novembre 2014, avec l'objectif de diviser leur nombre par deux en 2017. Ce plan consiste à développer la coopération entre les équipes éducatives au sein des établissements et les partenaires extérieurs, à renforcer le dialogue entre les parents et l'école, à soutenir la formation à la prévention du décrochage scolaire ou encore à mettre en place des dispositifs comme le "parcours aménagé de formation initiale", qui propose aux jeunes de 15 à 19 ans des temps de formation associés à des activités extra-scolaires. Une mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) permet aussi de prévenir le décrochage, de faciliter l'accès au diplôme et à la qualification, en repérant les jeunes en décrochage en lien avec les référents décrochage scolaire et les groupes de prévention du décrochage. Autres dispositifs existants : les écoles de la deuxième chance, l'accompagnement proposé par les missions locales, et les solutions offertes par les régions, qui se sont vu confier, dans le cadre de la loi formation du 5 mars 2014, la coordination et la mise en œuvre des actions de prise en charge des jeunes sortant du système de formation initiale sans diplôme ni qualification.
Pour favoriser l'insertion professionnelle de ces jeunes, des dispositifs comme la garantie jeunes, le service civique ou les emplois d'avenir ont aussi été mis en place. Ainsi les emplois d'avenir, destinés aux jeunes peu diplômés, leur permet de se rapprocher du marché du travail. D'après une étude de la Dares du 23 mars, six mois après la fin de leur contrat, 51% des jeunes entrés en emploi d'avenir non marchand début 2013 sont en emploi, 46% en emploi non aidé, et 37% en emploi durable. 5% sont en formation.

Un système "qui fabrique du décrochage scolaire à jet continu"

Pour Maryse Esterle, le problème du décrochage scolaire est structurel. "Nous avons un système scolaire qui fabrique du décrochage scolaire à jet continu : il sélectionne ceux qui formeront l'élite et à l’opposé, en laisse d’autres en déshérence, sans soutien efficace, voire avec une absence d’ambition pédagogique et éducative", explique-t-elle. L'orientation au niveau de la classe de troisième est un moment clé : soit les élèves suivent la voie noble des études générales, et poursuivent leurs études jusqu'au baccalauréat, soit ils sont orientés, le plus souvent par défaut, vers des lycées professionnels ou autres. "Certains se retrouvent dans des filières qui ne correspondent pas forcément à leur choix et de toute façon, les élèves doivent opérer des choix professionnels en étant encore très jeunes et sans guère de critères de choix, ce qui rend ardu le travail de leurs enseignants. D’autres réussiront heureusement leur carrière scolaire en lycée professionnel", détaille Maryse Esterle.
Pour Alain Sotto, psychopédagogue et neuropédagogue, la question se pose même plus tôt, dès la maternelle. "Ce qui fait décrocher un enfant, c'est qu'il est souvent en insécurité linguistique. Il ne comprend pas la langue scolaire donc il décroche ou devient agressif, et il a une mauvaise image de lui car il pense que les autres enfants comprennent." Une situation ou une expérience de l'échec que l'enfant aura tendance à reproduire, si on ne réussit pas à changer la donne. "Il faut s'intéresser au 'curriculum vitae caché' de l'enfant pour lui faire vivre une expérience réussie dans un domaine où il est bon, par la culture ou dans des actions ludiques."

Rattraper les lacunes sur les notions de base

Globalement, "on sait à peu près ce qu'il faudrait faire, assure Maryse Esterle, mais les moyens de tous ordres ne sont pas au rendez-vous". Au menu des actions qu'il faudrait mettre en place : des classes avec deux enseignants, avec un travail d'équipe entre enseignants plus poussé et une formation initiale et continue plus approfondie pour leur permettre de mieux comprendre les publics scolaires dans toute leur diversité. Maryse Esterle insiste aussi sur la nécessité de "prévenir et rattraper les lacunes" accumulées au fil des années par certains élèves, sur les notions de base. "On travaille beaucoup sur les comportements de ces élèves, sur l'estime de soi, c'est bien, mais si l'enfant ne sait pas lire ou écrire correctement, cela ne suffira pas… Il faudrait, dans les dispositifs existants, aider les élèves à reprendre pied dans les apprentissages, en lien avec les établissements scolaires." Même chose pour l'informatique, dont la maîtrise est devenue le plus souvent incontournable pour n'importe quel métier.

 * Maryse Esterle est auteur de l'ouvrage "Où va la formation des enseignants ? Des IUFM aux ESPE, chronique d’un passage tourmenté" - Editions Petra, mars 2017.