Le professeur Le Breton nous parle des nouvelles pratiques corporelles et du contexte social dans lequel la question transgenre émerge. Il évoque sa façon d'analyser cette question et propose des idées pour accompagner ces jeunes en souffrance.

Extrait de l'interview du professeur Le Breton par M.Terrier pour la Maison des ados des Pyrénées-Orientales.

David Le Breton est professeur de sociologie et d'anthropologie à l'université de Strasbourg. Ses recherches portent sur les représentations du corps humain et l'analyse des comportements à risque.

De tout temps, la jeunesse en quête de sens et de valeur à exister s’inscrit dans une métamorphose identitaire. Aujourd’hui, en rupture de perspectives et de références puissantes pour se sentir exister, des jeunes hommes et femmes sont  touchés par l’islamisme radical.

Aucune équation psychologique ou sociologique ne donne une explication univoque de la radicalisation. Ce qui vaut pour l’un ne vaut pas pour l’autre.

De jeunes convertis en quête de pureté et de spiritualité issus de classes moyennes ou privilégiées côtoient des jeunes de milieux populaires ayant souvent un parcours de délinquance. La radicalisation se nourrit de grandes figures anthropologiques : ordalie,sacrifice, disparition de soi... Les stéréotypes de genre sont exacerbés : les filles vouées au mariage et à la maternité, les hommes à la guerre. 

Video : A l’adolescence, période qui signe l’entrée dans la sexualité, le corps devient lieu de sexuation tel un champ de bataille de l’identité.
Le rapport ambivalent à soi se projette sur le corps qui devient dépositaire de la recherche identitaire du jeune.

Les transformations corporelles s’imposent à l’adolescent.
Elles soulèvent la question du regard des autres sur le jeune homme ou la jeune fille qu’il devient, l’ouverture au désir et à la génitalité. Son corps échappe à son contrôle, de même le statut qu’il acquiert au sein du social.
En jouant de son apparence, le jeune fait de sa peau un outil d’expérimentation de soi, d’exploration et de recherche identitaire.
Mais aussi, le corps se fait projection du mal-être de l’adolescent quand ses repères manquent et que s’affaiblit la solidité du monde des adultes. Les tentatives d’appropriation et de contrôle de l’image de soi par la coiffure, les tatouages, les vêtements peuvent s’avérer signes de détresse dans les conduites à risque, les addictions, les troubles alimentaires qui disent une volonté d’échapper à une identité insupportable.

Les conduites à risque sont des manières ambivalentes de lancer un appel aux plus proches, à ceux qui comptent. Elles témoignent de la résistance active du jeune et de ses tentatives de se remettre au monde. En dépit des souffrances qu’elles entraînent, elles possèdent un versant positif, elles favorisent la prise d’autonomie du jeune, la recherche de ses marques, elles sont un moyen de se construire une identité. Elles n’en sont pas moins douloureuses dans leurs conséquences à travers les blessures ou les morts qu’elles entraînent. Mais la souffrance est en amont, perpétuée par une conjonction complexe entre une société, une structure familiale, une histoire de vie.
Ces épreuves que les jeunes s’infligent répondent à cette nécessité intérieure de s’arracher à soi-même et de renaître meilleur. Ce sont des rites intimes, privés, autoréférentiels, insus, détachés de toute croyance et tournant le dos à une société qui cherche à les prévenir.